L’adaptation de la littérature au cinéma, la Collection de la Fondation Fellini

L’adaptation d’une œuvre littéraire au cinéma – qu’importe le genre dont elle provient, roman, théâtre ou épopée –, inspire les réalisateurs dès l’origine du 7 e Art. En 1902 Georges Méliès et les frères Lumière portent à l’écran Le Voyage dans la Lune de Jules Verne, initiant ce dialogue artistique entre les mots et les images que d’immenses chefs d’œuvre vont célébrer. Pour la petite histoire, préfigurant l’effet de suspense du cinéma, Jules Verne fut l’un des premiers auteurs à dramatiser ses romans d’aventures par un jeu d’illustrations installant une rupture avec le texte, et par-là, un horizon d’attente pour accéder aux péripéties de ses récits (Salle IV).

A défaut d’une équivalence de nature entre le livre et le film, le travail de l’adaptation ouvre un champ de correspondances inépuisables pour le plus grand profit de moyens d’expression différents dans leur langage, leur diffusion et leur réception. L’histoire de l’adaptation sera donc la chronique d’une réinterprétation permanente de la littérature. Au cours de ses leçons de cinéma, qu’il a conduites à propos de son adaptation de Madame Bovary, Claude Chabrol prolonge et magnifie le style flaubertien hors de son cadre romanesque. Le travail sur la photographie, par le mouvement de la caméra, la chromaticité des décors et le montage des scènes, recoupe très exactement les valeurs qui fondent l’art du grand romancier : les points de vue de la narration, la valeur symbolique de la description et le découpage d’un récit pour les effets de l’ironie (Salle de projection au sous-sol).

En ce sens, un film d’adaptation relève davantage de la notion de style, que de la question, fort subjective, de la fidélité à une œuvre littéraire. Dans Le Temps retrouvé, Proust a défendu une conception moderne du style, réinvestie par l’image des peintres et des réalisateurs : « Le style pour l’écrivain, aussi bien que pour le peintre, est une question non de technique, mais de vision. »

Avec un choix de documents originaux, l’exposition présente, à travers l’histoire du cinéma, divers types d’adaptation, le cas de Fellini révélant peut-être, à l’intérieur d’une même œuvre, la plus grande diversité en la matière (Salle I). En 1969, sous la forme d’une transposition pseudo-historique du roman de Pétrone, Satyricon se présente à la fois comme une célébration de la décadence romaine et un portrait ironique de la fin des années 60 (mouvement hippie, psychédélisme, libération sexuelle). Une année plus tôt, Tobby Dammit, adaptation d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe (Il ne faut jamais parier sa tête avec le diable), opère une distanciation considérable avec le récit tiré des Histoires extraordinaires, tout en reconstituant
une esthétique en parfaite adéquation avec l’univers propre au romancier fantastique. L’adaptation propose alors une forme de sublimation du texte originel.

Dans l’histoire du cinéma, Il Casanova di Fellini restera l’exemple le plus manifeste d’une déconstruction d’une œuvre littéraire à l’origine d’un film. Le journal de bord de Fellini, annoté et dessiné au cours de la production, la correspondance avec l’acteur français Alain Cuny datant du tournage, les documents préparatoires, les nombreuses annotations sur les pages de L’Histoire de ma vie du célèbre libertin vénitien, les documents de presse, ainsi que l’ensemble du corpus illustrant la genèse et la production du film attestent d’une liquidation en règle de l’œuvre littéraire. Quant à Intervista (1987), au-delà de l’hommage mélancolique à Cinecittà, le film assume une adaptation de L’Amérique de Kafka d’une manière radicalement originale. Le thème évoque les préparatifs d’une transposition du roman au cinéma. Le scénario, écrit par Fellini et Gianfranco Angelucci, donne peu à peu forme au roman de Kafka dans les scènes où le réalisateur fait passer des essais à des acteurs non-professionnels. Le roman inachevé de Kafka peut alors se refléter dans le film à peine esquissé du Maestro. L’adaptation devient une forme
d’hybridation du roman.

Au premier étage, la petite salle II est réservée à la mise en valeur d’un document exceptionnel issu de la Collection de la Fondation Fellini. Il s’agit d’un scénario inédit de Nicolas Bouvier et Peter Ammann datant de 1972 et ayant pour titre : Ouest – Est / Voyage en Orient. Le texte a été écrit pour le projet d’une mise en images de L’Usage du monde, une dizaine d’années après la publication de ce fameux récit de voyage. Peter Ammann a été l’assistant de Fellini sur le tournage de La dolce vita. La collaboration de deux auteurs fort différents, un écrivain-voyageur et un musicologue, qui fut également psychanalyste et producteur de films, a abouti à un récit picaresque reliant Zürich à Benarès. Dans ce cas, il conviendrait de parler d’auto-adaptation.

La Salle III présente les documents de production, les photographies et le scénario de l’adaptation par Francesco Rosi et Tonino Guerra du roman de Gabriel García Márquez paru en 1981, chronique d’une mort annoncée, une année avant la consécration de l’écrivain colombien par le Prix Nobel de littérature : « Dans un film, plus que dans un livre, ce qui est suggéré a parfois plus de poids que ce qui est dit. » (Francesco Rosi).


La diversité des documents présentés dans l’espace d’exposition illustre la richesse d’un domaine du cinéma qui se nourrit de la littérature, tout en l’irradiant de cette sorte de lumière que ne peut donner le soleil, pour reprendre la formule de Fellini.

Henry Borzi